Lorsque l’on est enfant, on nous demande souvent ce que l’on aspire à devenir. « Et toi, que veux-tu faire dans la vie ? » Cette question, posée si tôt à des enfants d’un si bas âge, provoque déjà chez ceux-ci un besoin de s’accomplir, des rêves, des aspirations. Elle active l’imaginaire, et pousse les uns et les autres vers des buts différents.
Je me souviens très bien de la réponse que je donnais, réponse qui fluctuait au fil des années. L’on débutait, pour la majorité des enfants de ma classe, avec l’envie de devenir enseignants. On souhaitait reproduire, peut-être, la figure de celui ou de celle qui nous enseignait à grandir. Cette figure d’autorité qui, en plus des parents, était la personne ressource ; de référence. Celle qui avait, de notre point de vue, la connaissance absolue.
Puis, les années passent, et la personnalité se raffine ; se définit. D’un ensemble homogène, l’on perçoit tranquillement des distinctions ; une hétérogénéité. Les personnalités se taillent, se sculptent, à des rythmes différents, vers des chemins différents. Et la question revient : « Que voulons-nous faire dans la vie? » L’on doit choisir, le collège, le programme, à seize ans, la plupart du temps. Quelle sera ma carrière ? J’ai passé de l’envie d’être enseignante, à l’envie d’être journaliste, écrivaine, artiste et puis, plus tard, scientifique, et peut-être même médecin, qui sait, me disais-je à l’époque. Et puis l’on gradue, l’on sort les robes de bal, la tête remplie de projets, d’idées, d’ambition. On saute dans l’inconnu, dans le vide, et ce, tête première.
Le collégial nous pousse encore plus vers la réussite ; vers le dépassement de soi. Je me souviens d’avoir pensé que je n’avais jamais appris en cinq ans d’études au secondaire l’équivalent de connaissances que je venais d’assimiler en deux ans de sciences naturelles. C’était d’un autre niveau. Une marche, nous disait-on, un peu plus haute, et on la grimpe, vers la réussite, vers notre réussite, nos buts, notre carrière. Le collégial est aussi pour certains, et pour moi, un moment qui marque, puisque l’on réalise à quel point l’on ne se connaît pas. Les aspirations changent, encore une fois, ou bien elles mutent, vers des buts nouveaux, qui nous ressemblent davantage, et dans lesquels on se sent mieux ; plus confortable. Soi-même ; comme des poissons dans l’eau.
Et revient cette question, qui pour une première fois, semble très urgente, puisque l’université est le dernier institut de scolarisation qu’un étudiant aura à traverser. Ensuite, c’est le lancer, la carrière, l’emploi ; la vie. L’université, c’est une marche de plus, plus haute, à gravir, et un amas de connaissances qui font de nous de futurs avocats, politiciens, notaires, ou autres. Que veut-on faire, donc, dans la vie ? Concrètement, précisément ?
Plus l’on grandit, plus l’on avance dans cette aventure d’apprentissage, et plus l’on croit savoir ce qu’est la carrière ; plus l’on croit percevoir les pourtours de celle qui sera la nôtre : Ses parures, ses allures ; ce à quoi elle tend réellement. Elle s’éclaircit, devient visible, plus nette. Mais qu’en est-il réellement ? À mon avis, l’on se trompe sur ce qu’est la carrière. Est-ce réellement un but, un état ultime, un élément futur, ou est-ce plutôt le résultat de tout ce que nous avons accompli, et que l’on ne peut percevoir qu’en se tournant vers le passé ? La question est lancée.
À mon sens, à tendre vers une carrière bien précise, l’on tente de jouer par nous-mêmes les cartes de notre propre vie. Or, la vie ne l’entend souvent pas de cette façon. Parfois, elle nous envoie des échecs, des difficultés, qui nous font bifurquer d’un but vers un autre, et dans d’autres situations, elle nous envoie plutôt des réussites, des évènements totalement inattendus et qui n’étaient pas planifiés, « qui ne faisaient pas partie du plan », entend-on, et qui modifient, eux aussi, l’idéale carrière, l’ultime but d’une personne ou d’une autre. Est-ce critiquable pour autant, de changer de buts ? Il y a donc ici, à mon avis, distinction à faire entre « buts » et « carrière ».
La carrière ; il s’agit de l’un des mots les plus fréquemment utilisés, lorsque l’on se projette dans le futur, dans notre profession, dans nos souliers de futurs avocats, notaires, ou politiciens. C’est un mot qui résonne souvent entre les murs du De Koninck, utilisé autant par les professionnels, par les professeurs, que par les étudiants. L’on a l’impression d’un idéal de vie qui ne permet pas de vivre réellement, alors qu’à mon avis, la carrière s’apprécie en bout de piste, et se construit d’échecs, comme de réussites. Au final, ce seront les décisions que l’on aura prises, les choix que l’on aura faits, les réussites et les échecs qui auront pris place sur notre route, qui permettront d’en définir les contours ; d’en percevoir le fond.
Ainsi, la carrière ne doit pas être, à mon avis, quelque chose vers quoi l’on aspire et qui est ferme et inflexible ; « coulé dans le béton ». Ce n’est pas représentatif de la réalité. Ayons des buts, et permettons leurs de changer au gré des évènements qui tapissent nos vies. En bout de ligne, l’on regardera la carrière que l’on aura eue non pas comme quelque chose d’inébranlable, mais comme quelque chose qui justement, a fluctué, a vécu, s’est adapté, s’est renforcé. Permettons-nous d’être humain.
J’ai lu un jour une phrase qui m’aura marqué longtemps, puisqu’encore aujourd’hui, elle est bien fraîche dans ma mémoire, même après tant d’années. Elle se porte bien au thème et je vous la propose donc.
Elle disait ceci : La vie est ainsi faite ; elle nous offre toujours une infinité de deuxièmes chances.