Le 31 janvier dernier, les plaignants de l’affaire Scott c. Canada (Procureur général), de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, ont déposé un mémoire d’appel à la Cour suprême du Canada. Mieux connue sous le nom de l’affaire Equitas, pour l’organisme à but non-lucratif qui la finance, cette affaire met de l’avant six vétérans des Forces armées canadiennes ayant subi des lésions corporelles permanentes à l’occasion de missions en Afghanistan, qui contestent les pensions leur étant allouées par le gouvernement fédéral. Selon ces vétérans, les allocations financières versées aux militaires s’étant blessés dans l’exercice de leurs fonctions sont largement inadéquates et contraires à l’existence d’une prétendue convention sociale entre la Couronne et les combattants des forces armées, qui garantirait une prise en charge raisonnable des soldats qui retournent de guerre. Subsidiairement, un tel régime de compensation serait également contraire au droit à l’égalité et au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, protégés par les articles 15 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Actuellement, les pensions militaires sont versées en fonction de la Nouvelle Charte des anciens combattants, qui a remplacé la Loi sur les pensions en avril 2006. Alors que la Loi sur les pensions garantissait auparavant une pension à vie aux militaires blessés dans l’exercice de leurs fonctions, la Nouvelle Charte des anciens combattants ne permet que l’octroi d’un montant forfaitaire. Cette indemnité, étant non seulement plus difficile à gérer qu’un montant offert sous forme de rente, est d’ailleurs nettement inférieure aux pensions précédentes. En effet, des études ont démontré qu’un soldat s’étant blessé après 2006 ne reçoit qu’en moyenne 65% de ce qu’il aurait reçu sous la Loi sur les pensions[1]. La Nouvelle Charte ne prend également pas l’âge, le statut conjugal ni le nombre d’enfants d’un vétéran en ligne de compte. Ainsi, puisque les soldats blessés avant avril 2006 conservent leurs droits acquis, deux soldats peuvent se retrouver avec des pensions vastement différentes pour la même blessure dans la même guerre, dépendamment de la date à laquelle ils ont été blessés et du régime qui leur est applicable.
Concrètement, une fluctuation aussi importante dans la pension de nos vétérans signifie que ceux-ci mettent leur vie en danger pour un pays qui ne leur accorde aucune garantie mutuelle de traitement. Pourtant, une telle garantie est des plus essentielles pour une réhabilitation adéquate au sein de la société. Avec près de la moitié (48.4%) des membres des Forces armées régulières souffrant de troubles mentaux ou de dépendances à l’alcool au courant de leur vie, ceux-ci ont réellement besoin d’être pris en charge correctement[2]. On constate d’ailleurs que les taux de stress post-traumatique, de trouble panique et de sans-abris grandissent de manière alarmante chez les vétérans.
« Nous faisons appel à la Cour suprême parce que nous ne croyons pas avoir le choix », dit Aaron Bedard, un des appelants de l’affaire, souffrant lui-même de stress post-traumatique. Concerné d’une potentielle épidémie de suicide à l’intérieur de son métier, celui-ci avoue ne plus éprouver de fierté pour les médailles d’honneur qu’il porte.
Malgré le retour aux pensions à vie proposé par les Libéraux en décembre dernier, le mécontentement subsiste au sein de la communauté militaire. En effet, le régime proposé serait significativement moindre que ce qui avait initialement été promis par Trudeau lors de sa campagne électorale. Selon ce nouveau régime, l’allocation moyenne prévue pour les récipients de l’indemnité ne serait que de 200$ par mois, comparativement aux pensions à vie antérieures à 2006, qui allouait jusqu’à 2 733$ par mois, avec un montant additionnel de 680$ pour les conjoints et les enfants des blessés[3]. Une telle disparité de traitement s’avère malheureusement capitale pour les vétérans avec les blessures les plus sévères, qui sont dans l’incapacité de travailler et qui comptent sur ces pensions pour leur subsistance.
Ainsi, la question se pose : Si on s’occupe de nos malades, de nos blessés et de nos pauvres; pourquoi on ne s’occupe pas de nos vétérans? Quand est-ce que leur traitement a cessé d’être une priorité? Quel est le but d’avoir une armée si le gouvernement fédéral n’a pas suffisamment de fonds pour prendre soin des soldats qui subissent des traumatismes en guerre à ses dépens? En l’absence d’une convention sociale assurant des pensions raisonnables et équitables aux vétérans, on demande essentiellement aux militaires de fournir une responsabilité illimitée sur leur personne et ce, gratuitement.
Pour citer Major Mark Douglas Campbell, un des appelants de l’affaire Equitas, ayant perdu ses deux jambes en Afghanistan : « Pourquoi les membres de nos forces armées continueraient à mettre leur vie en danger pour un pays qui ne leur promet pas de traitement réciproque s’ils sont malades ou blessés dans l’exercice de leurs fonctions? Je ne permettrais jamais à mes enfants de se joindre une telle organisation et je ne m’y joindrais pas non plus, si j’avais à le refaire. ».
[1] Alice AIKEN et Amy BUTTENHUIS, « New Veterans Charter Shortchanges our Disabled Soldiers», The Globe and Mail, 23 août 2012.
[2] Caryn PEARSON, Mark ZAMORSKI et Teresa JANZ, « Mental Health Care of the Canadian Armed Forces», 2013 Statistics Canada Catalogue no. 82-624-X, Tableau 1.
[3] Sean BRUYEA, « Liberals’ new “pension for life” for veterans fails to live up to campaign promises», CBC News, 2 janvier 2018.