Quiconque a déjà fait la route entre le centre-ville de Montréal et l’aéroport de Dorval a bien pu constater qu’il ne s’agit pas de la plus belle vitrine qu’on puisse offrir à nos visiteurs étrangers. Le transport est inefficace et, en ce qui concerne les routes, il serait plus juste de parler de ruines modernes que de véritables infrastructures. À cet effet, on peut comprendre l’enthousiasme qu’avait suscité l’annonce, en janvier 2015, de la construction du Réseau électrique métropolitain, aujourd’hui devenu le Réseau express métropolitain (REM).
En soit, le projet du REM est d’une envergure beaucoup plus vaste qu’une simple connexion vers l’aéroport. Il s’agit d’un nouveau réseau reliant, sur un total de 67 km, le centre-ville de Montréal, la Rive-Sud, l’Ouest-de-l’Île, la Rive-Nord, et l’aéroport. Bref, on parle du plus important développement en transport en commun depuis l’inauguration du métro de Montréal en 1966.
Le coût de construction du Réseau est évalué à 6,3 milliards de dollars, dont près de la moitié sera assumée par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). En fait, c’est là que se trouve une des véritables innovations du projet. Par cette entente, le REM devient le premier projet de partenariat public-public au Québec. Ainsi, par ce nouveau modèle, le gouvernement identifie les besoins en infrastructure et ensuite la Caisse propose des solutions, s’occupe de la gestion du projet et de son exploitation via sa nouvelle filiale CDPQ Infra.
D’emblée, l’idée peut sembler attrayante. Développer une nouvelle offre de transport en commun en partageant la facture avec un géant des gestionnaires de fonds. D’un point de vue financier, le gouvernement minimise son impact sur la dette publique, ce qui permet de faire bonne figure dans les livres comptables. Pour la Caisse, on développe un nouveau créneau d’investissement exportable à travers le monde et on s’offre la possibilité de faire fructifier davantage le fonds de retraite des citoyens. D’un point de vue environnemental, le projet devrait permettre de réduire notre empreinte écologique en diminuant le nombre de voitures sur les routes. À cet effet, des organismes crédibles comme Équiterre, la Fondation David Suzuki et Vivre en Ville ont déjà offert leur bénédiction au projet.
Toutefois, comme dans bien des cas, le diable est dans les détails.
D’entrée de jeu, ce nouveau modèle de gestion défie les logiques de l’administration publique. En temps normal, l’objectif d’un tel investissement est de répondre à un besoin et d’offrir un service à la population. La rentabilité du projet, bien qu’elle soit souhaitable, s’inscrit davantage comme un moyen que comme une fin en soi. En confiant la gestion du projet à la Caisse de dépôt, on vient donc complètement renverser cette prémisse. Si on se réfère à l’article 4.1 de la Loi sur la Caisse de dépôt et placement du Québec, on peut bien voir que la Caisse a d’abord et avant tout pour mission de rechercher le rendement optimal de ses capitaux. Cette réalité s’est déjà fait sentir dans plusieurs phases du projet.
D’abord, en étudiant le trajet qui est planifié, on remarque que c’est l’Ouest-de-l’Île qui a obtenu la part du lion. Cette situation, où l’Est est relégué au simple rang de « considération future », avait d’ailleurs été hautement critiquée au niveau politique. En effet, considérant l’importance du développement vers Terrebonne et Repentigny, on peut difficilement croire que l’ajout d’une telle ligne se serait transformé en éléphant blanc pour la Caisse. Il en va d’un simple sentiment d’équité régional. Pourtant, en réponse à cela, on nous rappelle que le tracé proposé par la Caisse répond parfaitement à son objectif de rentabilité. En clair, le message, c’est qu’il vaut mieux modérer ses attentes légitimes en matière de service public si elles ne s’inscrivent pas parfaitement dans la gestion optimale des ressources, d’un point de vue strictement financier.
Un autre écueil du REM se trouve dans les choix du consortium à la tête des travaux. En temps normal, dans l’analyse d’une politique publique, l’observateur se doit d’étudier ses retombées à grande échelle. Ainsi, au-delà des limites du chantier, on va évaluer comment le projet favorise le dynamisme économique, contribue à la création d’emploi, etc. Sachant cela, on peut déplorer le fait que la candidature de Bombardier n’ait pas été retenue pour la construction des trains. Un tel mandat aurait assurément donné une bouffée d’air frais à une entreprise québécoise qui en a grandement besoin. Sinon, à tout le moins, il aurait aussi été tout à fait légitime d’exiger un taux minimal de contenu local dans la production. Malheureusement, rien de tout cela n’est arrivé. Ces choix seront dictés par les règles du marché, au nom de l’efficience économique.
Troisièmement, alors que certains saluent l’efficience du modèle de gestion, d’autres critiquent son manque de transparence. En effet, bien qu’il s’agisse d’un des plus grands projets d’investissements publics au Québec, le gouvernement libéral refuse toujours que le montage financier puisse être étudié en commission parlementaire. Pourtant, cette démarche s’inscrirait dans un processus de reddition de compte souhaitable pour un projet d’une telle envergure puisque, somme toute, plusieurs questions demeurent toujours sans réponse.
À titre d’exemple, comme tous les projets d’envergure, le REM a dû se soumettre à une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). À la fin du processus, en interprétant très largement son mandat, l’organisme a soulevé plusieurs doutes sur la pertinence du projet, en termes d’achalandage et de rentabilité. Après coup, on a simplement tabletté l’avis défavorable qui en est ressorti, permettant ainsi au projet de continuer d’aller de l’avant, la pédale au fonds. En clair, en faisant le choix de s’écarter ainsi des règles traditionnelles de reddition de compte, on accélère bien sûr les processus. En revanche, on s’enlève aussi l’opportunité de bonifier le projet dans une perspective de saine gestion des fonds publics.
Ceci étant dit, on peut tout de même accueillir favorablement le projet du REM, mais il faut savoir distinguer le projet de son modèle de gestion. Encore aujourd’hui, on entend plusieurs critiques qui permettraient d’améliorer ce projet qui n’existe encore que sur papier. Par exemple, de meilleures connexions avec les stations de métro pour diminuer les ruptures de charge éviteraient de décourager certains utilisateurs. Considérant l’importance stratégique d’une vision intégrée des réseaux de transport, il est tout à fait légitime de s’attendre à ce que ceux qui les coordonnent soient en mesure d’harmoniser leurs pratiques. Pourtant, rien ne semble suffisant pour ramener les gestionnaires à la table à dessin.
On peut comprendre l’intérêt pour les partenariats public-public. Toutefois, il faut concéder que la quête de la rentabilité à tout prix dans l’octroi de services publics ne se conjugue pas avec la mission fondamentale de l’État. En portant un chapeau d’investisseur et un chapeau de gestionnaire de projets, la Caisse se bloque de toutes considérations extérieures au projet du REM. À cet égard, nous ne pouvons que souhaiter qu’elle revienne à son mandat original, soit générer des rendements intéressants afin d'assurer la pérennité du bas de laine des Québécois et investir dans l'économie du Québec afin d'en favoriser le développement dans chacune des régions. Ce faisant, le voyage en train entre le centre-ville de Montréal et l’aéroport de Dorval permettrait non seulement de redorer notre blason à l’étranger, mais surtout, il se ferait réellement au bénéfice de tous nos concitoyens.