Depuis la sortie médiatique de l’affaire Harvey Weinstein et du mouvement de masse #moiaussi, les gens sont devenus plus sensibles et plus attentifs, et avec raison, aux rapports entre les hommes et les femmes. La population observe davantage, critique plus rapidement, intervient ou pointe du doigt instantanément des situations qui, auparavant, auraient pu demeurer dans l’ombre longtemps ; voir ad vitam aeternam. C’est donc un pas de plus pour notre collectivité ; un pas de plus vers l’égalité. Des femmes, longtemps silencieuses, muettes, tenues de se taire, crient aujourd’hui haut à fort à l’injustice, lorsqu’injustice il y a.
Or, je crois personnellement qu’il ne faut pas pousser les effets de ce mouvement de masse trop loin. Avant de me faire lancer une pluie de pierres, je m’explique.
Récemment, je suis tombée sur un article qui mentionnait que l’affaire Weinstein avait aussi eu un impact important sur le regard que posent aujourd’hui les gens sur les œuvres artistiques réalisées dans le passé : Des œuvres d’art, des tableaux, des livres, des films… tout y passe. Le problème : Un certain courant souhaite bannir ce qui ne concorde plus avec nos valeurs actuelles.
Par exemple, une galerie d’art, la Manchester Art Gallery, a retiré un tableau de ses murs, nommé Hylas et les nymphes, toile de John William Waterhouse réalisée en 1896, car, dit-on, « les femmes y sont représentées sous une forme passive décorative ». D’autres évènements de la sorte ont suivi ; par exemple, l’on pointe du doigt, ou l’on va jusqu’à modifier la fin de films qui nous semblent critiquables dans notre société égalitariste du 21e siècle. C’est le cas notamment pour le film Blow-Up de 1966, qui a été fortement critiqué, critique qui est allée jusqu’à la proposition de censure, en raison de l’illustration évidente de violence faite aux femmes. Aussi, Carmen, opéra de Bizet datant de 1875, fut modifiée par un scénariste italien, celui-ci prônant qu’il est « inconcevable qu’à notre époque de violences faites aux femmes, on applaudisse au meurtre de l’une d’elles ».
Où cela nous mènera-il ? Dans l’histoire des Hommes, chaque fois que l’on a censuré des œuvres, des écrits, des livres ou des idées, tenté de les cacher, de les faire disparaître de la surface du Monde, s’en sont inévitablement suivis des conflits ; des tensions.
L’Histoire, et sa connaissance par la population, est plus que nécessaire. Ses fondements sont essentiels à la subsistance d’une société saine et évolutive.
Nous avons, et ce depuis 1883, une devise québécoise qui nous ressemble ; qui nous rassemble, et que l’on voit partout, chaque jour. Elle est passée des armoiries du Québec aux plaques d’immatriculation, ne passant pas inaperçue. Elle dit ce qui suit : « Je me souviens ». Or, il ne s’agit pas simplement de la lire. Il importe de la saisir ; de comprendre son sens, son importance et sa nécessité.
À mon avis, il est essentiel que toutes ces œuvres d’art, ces livres, ces films, restent exactement où ils sont, et qu’ils conservent leur place dans notre société. Je ne dis pas qu’il est interdit de les critiquer ; bien au contraire. La critique taille l’esprit de la communauté ; bien construite, elle ne peut qu’être positive. Que le mouvement du #moiaussi pousse la collectivité à réfléchir davantage, à se positionner et à critiquer, la communauté ne peut que s’en trouver renforcie. Or voici pourquoi le sujet m’interpelle autant : pour être en mesure de critiquer, il faut connaître. C’est donc l’idée de la censure, du camouflage, qui me cause un grand inconfort.
L’on ne peut oublier que les hommes et les femmes ne furent pas toujours perçus de la même façon ; l’on ne peut oublier non plus que les « blancs » et les « noirs » ne furent pas toujours égaux. Ces faits font partie de l’histoire qui est la nôtre, histoire qui a forgé la société dans laquelle l’on vit aujourd’hui. L’on ne peut passer sous silence les défauts, les erreurs, les échancrures, en rétorquant que le problème est aujourd’hui résolu ; qu’il est chose du passé. Ce serait là, à mon avis, une grave erreur.
Il faut songer aux générations qui s’en viennent éminemment, qui seront là après nous, qui suivront et qui devront, elles aussi, critiquer, et donc du même coup, connaître.
Que sera le Monde, si on leur enlève une parcelle de la connaissance que l’on possède aujourd’hui, celle des inégalités qui prenaient auparavant place non seulement au Québec, mais partout dans le Monde ? Serait-ce de se mentir ? Est-ce de la honte ? Tenterions-nous de faire croire que l’on a toujours été beaux et bons ? C’est totalement faux, et nous le savons tous. On ne solutionne jamais un problème en le camouflant.
À mon sens, en voulant censurer les films, les livres, les œuvres d’art d’une autre époque en évoquant qu’ils illustrent des inégalités, l’on retire une parcelle importante de connaissance aux générations futures, et le danger est imminent.
Que feront ceux qui ne comprennent pas le contexte socio-historique du Monde dans lequel on vit ? Que feront ceux qui ne connaîtront pas les erreurs passées des Hommes ? L’histoire, sur ce point, est révélatrice. Si l’Homme oublie, l’Homme recommence.
N’oublions pas. Souvenons-nous.