C’est en février dernier que Me Catherine La Rosa, juge à la Cour supérieure du Québec, a accepté de m’ouvrir les portes de son bureau pour me parler de la passion qui l’anime pour sa profession. Ayant exercé en pratique privée dans le domaine du droit de la famille et de la personne avant d’accéder au poste de juge en 2006, elle me raconte ses débuts, mais aussi ce qui compose son quotidien avec un enthousiasme contagieux et une vision empreinte d’humanité et de bienveillance.
Il y a de ceux pour qui le choix de carrière est décidé avant même d’en cerner les contours précis. Ce fut le cas pour Me La Rosa qui, dès les premiers moments de l’entretien, me répond sans détour que le droit a toujours suscité chez elle un vif intérêt. Dès son jeune âge, elle prenait plaisir à défendre ses camarades. N’aimant pas être témoin d’injustice, elle n’hésitait pas à aller voir ce qui se tramait dans la cour d’école pour tenter de résoudre les conflits qui éclataient. Si le domaine juridique lui apparaissait comme une certitude, l’avenue du droit de la famille ne figurait toutefois pas dans ses plans de carrière initiaux. Après avoir reçu son titre d’avocate, Me La Rosa débute en litige au niveau civil et commercial, pratique qui s’arrimait avec sa volonté professionnelle à l’époque. Peu de temps après, elle emménage à Montréal et se retrouve chez Martineau Walker (aujourd’hui Fasken Martineau). Comme il manque cruellement de main-d’œuvre dans la section de droit de la famille, elle est approchée par sa patronne de l’époque, Me Pierrette Rayle, l’une des meilleures avocates au Canada en droit de la famille, qui lui offre la possibilité de lui apporter un coup de main. Ce qui semble temporaire devient permanent alors que Me La Rosa accepte quelques mois plus tard d’être formée pour travailler à temps plein dans la section de droit de la famille. Placée devant des dossiers complexes, mais extrêmement stimulants, cette branche du droit l’amène à toucher à plusieurs aspects tels que le partage de biens, le droit fiscal et le droit corporatif, le tout parsemé d’une dimension psychologique, ce qui la comble. Pour ajouter à cela, sa patronne l’encourage à s’impliquer au niveau de la formation permanente où elle se prête à la rédaction d’articles et donne des conférences. C’est ainsi que, de fil en aiguille, elle acquiert de l’expérience et se spécialise. Aujourd’hui, le droit familial est devenu sa branche de prédilection.
Ayant comme sujet l’humain au cœur de sa pratique, certains dossiers viennent évidemment la chercher émotionnellement. Pour m’aider à mieux cerner son état d’esprit, Me La Rosa me donne l’exemple d’un chirurgien qui doit procéder à une opération : même si l’opération est d’une grande envergure, il ne pleure pas et ne craint pas le sang. Il fait ce qu’il a à faire en suivant ses procédures et accomplit son intervention médicale. Un juge par définition est placé face à des situations dans lesquelles il y a un problème à résoudre. Qui dit « problème » dit par le fait même « émotivité ». En ce sens, l’émotion est toujours présente et bien que Me La Rosa ait concentré sa pratique en droit familial par le passé, elle me confie qu’encore aujourd’hui, son empathie demeure présente pour les gens. À ses yeux, le travail de juge consiste à trouver des solutions, solutions qui ne se trouvent qu’après avoir entendu les gens. Le vif désir qu’elle me témoigne de prendre le temps de réellement comprendre la personne qu’elle a devant elle avant de poser un quelconque jugement lui permet de conserver son aptitude à se mettre à la place d’autrui. Dans l’éventualité où l’émotion prend le dessus, il s’agit de suspendre la séance le temps de quelques minutes afin que chacun puisse reprendre ses esprits et ainsi être dans de bonnes dispositions dans la salle d’audience.
Le rythme de ses journées peut parfois se ressembler lorsqu’elle est amenée à faire des causes de longue durée sur un sujet donné. Elle commence vers 9 h ou 9 h 30, prend une pause d’une vingtaine de minutes, ajourne à midi trente, reprend à 14 h, prend une courte pause en après-midi et ajourne généralement à 16 h 30. Elle tente le plus possible de respecter ces heures de cour types, car elle me souligne que du travail est à faire avant, mais également après ces heures. Lorsqu’elle est vis-à-vis des causes rapides dont la durée est d’une trentaine de minutes et où de petits points sont à régler, le rythme est succinct, car elle peut avoir plusieurs de ces causes à traiter au cours d’une même journée. Si la juge est en mesure de rendre son jugement sur le banc, c’est-à-dire lorsque les personnes sont placées face à elle, elle le fait. Quant aux jugements qu’elle n’a pas été en mesure de rendre dans l’immédiat, elle doit les rédiger. C’est lors de ces périodes où elle ferme la porte de son bureau et où l’on dit qu’elle est en délibéré. De façon générale, le travail de juge à la Cour supérieure est tout sauf routinier.
Devant parfois se rendre dans des établissements de soins de santé pour entendre des ordonnances de soins, Me La Rosa me confie aimer particulièrement cet aspect de proximité avec les justiciables. À ses yeux, le juge est une personne qui aide à trouver des solutions alors que la personne n’est pas parvenue à régler sa situation par le biais de la médiation ou de la conciliation. Consciente que ce moment est probablement l’endroit dans sa pratique où elle est confrontée à la personne dans son état le plus vulnérable, ce temps de dialogue qu’elle peut avoir avec le justiciable lui permet de sortir de l’application du droit pur tel que pratiqué à la Cour d’appel, là où la plupart des personnes qui viennent plaider sont des avocats. Il faut dire que la personne qui se présente devant le juge dans ces circonstances est souvent placée dans un rapport de force inégale en raison des rapports des psychiatres venant détailler sa problématique et faire état des motifs pour lesquels elle devrait être sujette à une ordonnance de soin. En ce sens, ce moment où le justiciable lui fait face, se met à nu et expose son point de vue au juge est empreint de respect. Non seulement ce temps de dialogue accorde un espace de prise de parole au justiciable, mais il permet aussi à la juge de l’amener à prendre conscience que si l’avenue de l’ordonnance de soins est priorisée, c’est avant toute chose parce qu’elle considère qu’il est dans son intérêt premier d’agir ainsi. Et, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être croire, cet échange est des plus bénéfiques puisque dans plusieurs cas la personne finit par se résoudre à cesser de parler et à remercier la juge. Ces journées, bien qu’exténuantes, lui procurent un sentiment d’accomplissement et lui renvoient le sentiment d’être exactement là où elle devrait être.
Si Me La Rosa pouvait changer un aspect à la pratique actuelle du droit, elle se concentrerait sur le travail préliminaire de discussion des avocats avant qu’ils ne se présentent devant la Cour. Me citant le Code de procédure civile qu’elle a enseigné par le passé et qui le souligne à l’intérieur de ses pages, elle souhaiterait que les gens prennent préalablement le temps de discuter entre eux afin d’évaluer s’ils sont en mesure d’arriver à régler la situation à laquelle ils sont confrontés avant de se tourner vers le tribunal et risquer d’encourir des frais qui pourraient être évités. À ses yeux, ce changement de culture modifierait radicalement la pratique. Elle entend d’ailleurs le faire au courant des prochaines années.
Ce qu’elle souhaiterait dire aux étudiants en droit et aux jeunes avocats, c’est de ne pas hésiter à saisir les multiples opportunités qu’offrent les régions. C’est durant sa pratique qu’elle a pris conscience que certains districts judiciaires manquaient cruellement de relève. Selon elle, les jeunes ne devraient pas craindre d’aller pratiquer en dehors des grands centres. Les régions telles que la Gaspésie, les îles de la Madeleine ou l’Abitibi pour ne nommer qu’elles regorgent de possibilités et ont beaucoup à offrir à ceux qui débutent dans le domaine. Elle soutient que la qualité de vie se révèle dans plusieurs cas des plus exceptionnels, mais qu’elles constituent également des occasions en or d’obtenir des postes particulièrement recherchés quant au développement de ses compétences. Elle insiste sur le fait que les régions possèdent tous les atouts pour donner lieu à de très belles carrières.