LISÉE, NOUVEAU CHEF DU PARTI QUÉBÉCOIS : UN PAS DANS LA BONNE DIREC-TION?

Sam Kennedy

 

Le 7 octobre dernier, Jean-François Lisée devenait le neuvième chef du Parti Québécois en obtenant 50,63 % des votes au deuxième tour, auquel 56 000 membres du parti se sont exprimés. C’est suite au départ insoupçonné de l’ancien chef du parti Pierre-Karl Péladeau en mai dernier que l’élection d’un nouveau leader s’imposait. C’est donc l’ancien ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur sous le gouvernement Marois qui a obtenu le poste. En remportant l’élection, Lisée a su faire taire l’opinion publique et journalistique qui accordait le statut de favori à Alexandre Cloutier, qui finit deuxième avec 31,7 % des votes. En effet, la surprise fut grande en apprenant que le nouveau chef avait battu avec une confortable avance le juriste de 39 ans. 

LISÉE : L’HOMME DE LA SITUATION ?

Le Parti Québécois a besoin d’un grand coup. Incapable de déstabiliser les Libéraux majoritaires, décimé par la division du vote avec la Coalition Avenir Québec et Québec Solidaire, aux prises avec de forts désaccords au sein même du caucus (quand faire l’indépendance, comment la faire, jusqu’où pousser la social-démocratie…), avec l’appui à la souveraineté oscillant entre 30 et 35%1 actuellement dans la population, le parti a certainement beaucoup de défis à relever. La question à se poser est donc la suivante : Lisée est-il l’homme qui saura galvaniser les militants et les électeurs pour faire retrouver au PQ son statut de parti fort, pouvant réellement aspirer au pouvoir et, un jour, aspirer à l’indépendance ? 

Il semble qu’à court terme, Jean-François Lisée peut légitimement prétendre pouvoir être cet homme. Parlementaire tout à fait redoutable et impitoyable, fort d’une expérience de plusieurs années au sein des cabinets de Lucien Bouchard, de Jacques Parizeau et de Pauline Marois, intellectuel affirmé ayant un sens développé pour le débat, connaissant très bien les enjeux touchant les Québécois, il paraît être la personne la plus qualifiée pour relever ce défi. En effet, celui-ci, en tant que chef de l’opposition officielle, semble avoir beaucoup plus de cordes à son arc qu’Alexandre Cloutier pour parvenir à déstabiliser les Libéraux afin de les battre à la prochaine élection. En quelques mots, ce dernier est moins expérimenté, beaucoup plus conciliant et davantage sur la défense que Lisée. Il ne semble pas avoir la même fougue, le même acharnement ni le même charisme qui a propulsé Lisée au rang de chef et qui a forgé sa réputation. Il est clair que Cloutier a encore de l’expérience à acquérir comparativement au nouveau chef et c’est pourquoi Lisée est sûrement la meilleure solution à court terme pour le PQ.

Par contre, à plus long terme, il y a certainement une plus grande place au débat pour savoir qui serait le chef le plus « apte » à renverser la vapeur. Effectivement, afin de sortir de l’impasse à laquelle le PQ fait face, le parti a besoin d’un renouveau de son électorat et, à première vue, ce n’est pas Lisée qui semble permettre au mieux un tel phénomène. 

« Alexandre Cloutier, très différent de Legault, aurait été sûrement en meilleure position pour se distinguer de lui et reconquérir le vote francophone lassé et découragé du surplace du PQ des dernières années. »

D’emblée, il faut que le Parti Québécois réussisse à élargir son électorat au sein des jeunes, un groupe qui boude sa politique nationaliste. Il y a là un problème d’envergure.  Selon un sondage CROP-La Presse effectué en juin 2014, seulement un maigre 16 % des jeunes de 18 à 24 ans comptaient voter pour le PQ aux prochaines élections2. Cela augure mal pour la relève et la pérennité du parti à long terme.

Aussi, le parti doit impérativement aller chercher plus d’appuis au sein des non-francophones (cela inclut les communautés culturelles allophones et les anglophones). En effet, à la fin de l’été 2016, une enquête de Pierre Fortin pour la revue L’Actualité révélait que 78 % des intentions de vote des non-francophones allaient directement au Parti Libéral du Québec pendant que ce groupe représentait près du quart de la population québécoise (23 %)3. C’est l’un des facteurs principaux expliquant pourquoi le PQ a tant de misère à déloger le PLQ ; son appui au sein des non-francophones est simplement trop massif. 

Finalement, le parti de l’opposition officielle se doit d’aller rechercher les appuis des francophones perdus au profit de la CAQ. Le fait que le PQ se déchire le vote francophone avec ce parti lui nuit terriblement. Une bataille de 30 % des intentions de vote pour le PQ contre 20 % des intentions pour la CAQ comme tel est le cas actuellement4 ne peut que faire en sorte d’assurer un gouvernement libéral ; la division du vote francophone est beaucoup trop importante pour que le PQ puisse aspirer au pouvoir.

Bref, à la lumière des problèmes posés précédemment, il semble qu’Alexandre Cloutier aurait été un candidat très qualifié pour relever ces défis. Premièrement, celui-ci est âgé de 39 ans seulement. Celui-ci est en mesure de comprendre les enjeux touchant les jeunes et de mieux interagir avec eux que Lisée, qui approche de la soixantaine. Deuxièmement, il semble aussi que la personnalité plus conciliatrice et respectueuse de Cloutier serait plus susceptible de séduire les communautés culturelles et les anglophones ; les récentes sorties de Lisée sur le burkini font preuve du fait que celui-ci est beaucoup plus défensif ou méfiant sur la question identitaire que son homologue. Enfin, pour se démarquer de la CAQ, il semble que le constitutionnaliste aurait fait meilleure figure. Pour plusieurs, Lisée représente la même chose que François Legault, chef de ce parti ; même âge, même discours identitaire, mêmes méthodes... Alexandre Cloutier, très différent de Legault, aurait été sûrement en meilleure position pour se distinguer de lui et reconquérir le vote francophone lassé et découragé du surplace du PQ des dernières années.

En conclusion, même s’il semble que Lisée soit le meilleur candidat pour tenter de gagner les prochaines élections provinciales (cela étant clairement la mission que les militants lui ont donnée en l’élisant à la suite de sa promesse de ne pas tenir un référendum dans le premier mandat afin de se concentrer exclusivement sur l’obtention du pouvoir), il semble aussi que Cloutier aurait été en meilleure position pour opérer un changement nécessaire au sein du PQ. Lisée parviendra-t-il tout de même à remettre le Parti Québécois sur les rails au long terme ? Ce n’est pas impossible, mais un changement fondamental de philosophie devra être effectué, au risque de rester pris dans le même cercle vicieux que le parti fait face depuis plus de 10 ans, soit celui de se cantonner bien confortablement dans le rôle de l’opposition.

Sam Kennedy, représentant de première année du Comité socio-politique

[1] LESSARD Denis, « Sondage CROP-La Presse : Lisée chauffe Couillard et Legault », La Presse, www.lapresse.ca, 18 octobre 2016.

[2]GAGNON Katia, « Les jeunes et la souveraineté : la génération ‘’Non’’ », La Presse, www.lapresse.ca, 2 Juin 2014.

[3]FORTIN Pierre, « Comment le PLQ domine les intentions de vote », L’Actualité, www.lactualite.com, 14 Septembre 2016.

[4]LESSARD Denis, op. cit.