Vers la fin du mois d’octobre, en lisant les nouvelles, je suis tombée sur un article intéressant intitulé « Compensation de 2,3 millions pour une femme non mariée ». Un article dont le sujet suscite beaucoup d’attention en droit actuellement. En effet, à la lecture de cet article, on ressent le désir du juge et de la journaliste d’un changement dans le régime légal des conjoints de fait. Cependant, il existe un deuxième courant, presque aussi important, qui est de l’opinion inverse. Il y a donc lieu de se poser la question suivante : Devrions-nous imposer un régime aux conjoints de fait ou plutôt continuer de prôner la liberté contractuelle ? Je crois que le présent régime, quant au patrimoine du couple, est suffisant. Les conjoints de fait doivent pouvoir établir leur propre contrat selon leurs valeurs et leurs principes, ce qu’aucun autre régime ne permet. Ce contrat n’a pas besoin d’intervention des tribunaux ou du législateur pour être valide ou équitable puisqu’il reflète la volonté des parties. Je me prononcerai d’abord sur l’instauration d’un régime aux conjoints de fait, qui aurait les mêmes effets que le mariage, puis sur le mécanisme actuellement utilisé pour rétablir un certain équilibre économique entre les conjoints, soit l’enrichissement injustifié.
Imposition des effets du mariage aux conjoints de fait
Je ne crois pas que la loi devrait être modifiée afin que les conjoints de fait aient les mêmes droits et obligations que les personnes mariées. En effet, les époux mariés donnent leur consentement en toute connaissance de cause puisque ces derniers sont informés avant la célébration du mariage des effets du mariage en droit québécois. Lorsqu’ils se disent « oui », les époux acceptent donc les conséquences juridiques du mariage et acceptent l’application de ce régime à leur couple. Cependant, pour ce qui est des conjoints de fait, ils ne donnent pas leur consentement à l’application de ces règles. Est-il possible de déduire que par la simple cohabitation, ces deux personnes consentent à un régime qu’elles ne connaissent pas ou qu’elles comprennent peut-être mal ? De plus, si les effets du mariage sont appliqués automatiquement, quel est le choix offert aux personnes qui ne veulent pas subir de conséquences patrimoniales en raison de leur régime matrimonial ? Il reste toujours l’option du « opting-out », c’est-à-dire la possibilité pour les couples de refuser l’application de ces règles. Toutefois, un conjoint qui ne voulait pas se marier, puisqu’il possède un patrimoine plus important par exemple, lèvera son option « d’opting-out », ce qui laisserait encore le conjoint plus vulnérable sans protection, puisque ce dernier n’aura droit à aucun partage. Puis, si on impose un « opting-out » commun, qui nécessiterait le consentement des deux conjoints, cela ne reviendrait-il pas à forcer le mariage du conjoint qui refuse de se marier ? Or, nul ne doit être forcé à se marier. En somme, malgré l’éventuelle imposition de ce régime le problème demeure, donc il faut respecter la liberté de choix et l’autonomie des conjoints de fait puisque brimer cette liberté n’est pas la solution.
L’enrichissement injustifié
La jurisprudence a reconnu que la convention de vie commune, même tacite, empêche le conjoint de faire une réclamation pour enrichissement injustifié. Dans l’affaire St-Louis c. Martel, le juge Lamarée considère qu’une convention tacite est intervenue lorsque deux conjoints de fait qui gagnent leurs propres revenus se séparent les dépenses du couple de manière inégale. Par conséquent, il refuse la requête en enrichissement injustifié de madame malgré qu’au courant des années, les chiffres démontrent qu’elle a fait des investissements plus importants que monsieur. Pourquoi la situation est-elle inverse lorsqu’un des deux conjoints décide de rester à la maison pour s’occuper des enfants et des tâches ménagères ? Après tout, ce conjoint reçoit une contrepartie en échange de ses services. En effet, pendant toutes les années de vie commune, ce conjoint n’aura déboursé aucun montant pour sa subsistance (ex. électricité, épicerie, loyer, assurances, etc.). Je suis d’avis que si pendant des années, le conjoint à la maison a accepté cette situation, il y a eu une convention de vie commune tacite. Le conjoint qui considérait la situation injuste aurait engagé la conversation sur ce point fondamental de la vie de couple qu’est la vie économique. À titre d’exemple, madame peut demander une certaine compensation monétaire pour son travail ou encore la copropriété de la maison. Bref, à mon avis, tous les conjoints de fait, à défaut d’avoir une convention claire, ont une convention tacite et le tribunal ne devrait pas intervenir dans ces conventions.
Le conjoint ne peut invoquer que l’autre l’a exploité et que, de cette exploitation, il découle une disproportion entre les deux patrimoines puisque cela signifie invoquer la lésion. Or, la lésion est un vice de consentement uniquement dans les cas prévus par la loi, dont les cas des mineurs ou des majeurs inaptes. Dans l’affaire Ruiz c. Benito, le juge énonce clairement que la convention d’union de fait ne peut être modifiée ou annulée pour cause de lésion. Ainsi, le conjoint ne pourra jamais plaider qu’il n’a pas reçu de contrepartie équivalente à sa propre prestation. Selon moi, plaider l’enrichissement injustifié est une manière indirecte d’obtenir ce qui ne peut être obtenu de manière directe, c’est-à-dire la modification du contrat pour cause de lésion. En effet, l’enrichissement injustifié permet de rééquilibrer la situation économique entre les parties en octroyant la contrepartie qu’aurait dû recevoir le conjoint lésé pour ses services. Pour cette raison, les juges ne devraient pas intervenir dans les conventions de vie commune, même tacites, par l’entremise de l’enrichissement injustifié. Toutefois, il reste toujours possible d’annuler le contrat d’union de fait pour tous les autres vices de consentement (crainte, erreur ou dol), ce qui me semble raisonnable en l’espèce.
En conclusion, je suis d’avis qu’il faut respecter la liberté de choix des conjoints de fait et que l’enrichissement injustifié ne devrait pas permettre à un conjoint lésé d’obtenir la modification de sa convention de vie commune, même tacite. La réforme imminente du droit de la famille ne devrait pas porter, selon moi, sur les obligations patrimoniales des conjoints entre eux puisque cela fait l’objet d’une entente privée. La réforme devrait plutôt s’orienter sur l’intérêt de l’enfant, ce qui semble être la voie préconisée par le Comité consultatif sur le droit de la famille. La solution pour les rapports entre conjoints de fait demeure à mon avis, dans l’information et la sensibilisation de la population à l’égard des différents régimes matrimoniaux et de leurs effets.