Lancée en 2016 par le gouvernement Trudeau, la Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) avait pour mandat de « se concentrer sur les causes des taux de violence démesurés contre les femmes et filles autochtones » au pays. Après deux ans et demi de travaux, la Commission a terminé ses audiences institutionnelles à Saint-Jean (Terre-Neuve) le 18 octobre dernier. Compte tenu des difficultés rencontrées en cours de route (nombreuses démissions au sein de l’équipe, prolongation demandée en partie refusée), le rapport final, attendu en avril 2019, répondra-t-il aux attentes ?
Dès le début de son mandat, l’équipe de l’ENFFADA a fait face à plusieurs obstacles : manque de ressources financières, écueils bureaucratiques, immense territoire à parcourir pour recueillir les témoignages, difficulté à convaincre les femmes et filles autochtones de témoigner, etc. À un point tel que plusieurs membres ont démissionné en cours de route, arguant que l’ENFFADA était vouée à l’échec. Au total, treize personnes ont claqué la porte. Parmi eux, la première directrice générale, Michèle Moreau, puis sa remplaçante Debbie Reid, de même que la commissaire Marilyn Poitras. Notons également le départ fracassant du conseiller juridique Breen Ouellette qui a dénoncé dans les médias l’ingérence du gouvernement dans l’enquête. Selon ses dires, le gouvernement fédéral « a miné l’indépendance et l’impartialité de l’enquête nationale » en bloquant des enquêtes sur les filles autochtones placées en famille d’accueil.
S’est ajouté à cela le refus des libéraux de prolonger de deux ans (pour un total de quatre ans) l’ENFFADA. Ces derniers ont décidé d’allouer seulement six mois supplémentaires aux commissaires et autres membres de l’équipe pour terminer leur travail. Plusieurs ont reproché à Trudeau d’avoir refusé de prolonger le mandat de la Commission pour des raisons électoralistes. En effet, les élections fédérales auront lieu en octobre 2019, quelques mois après la sortie du rapport final de l’ENFFADA ; une bonne façon pour le Premier ministre de dire aux Canadiens qu’il a réussi pendant ses quatre années au pouvoir à tenir une commission d’enquête sur le sort des femmes autochtones disparues et à en tirer des résultats probants.
N’empêche, malgré les embûches, la commissaire à l’ENFFADA et ex-présidente de Femmes autochtones du Canada, Michèle Audette, estime que cette enquête en valait la peine. Elle a permis, a-t-elle mentionné en entrevue avec Michel C. Auger (Radio-Canada), de révéler des actes inimaginables d’exploitation et d’abus sexuels subis par les femmes autochtones que personne n’avait encore osé dénoncer et de dénoncer le rôle joué par certaines institutions religieuses et corps policiers, pourtant chargés de protéger ces femmes.
Les résultats de l’ENFFADA pourraient toutefois s’avérer décevants pour les familles qui ont perdu une mère, une conjointe, une sœur, une amie. Certes il y a eu des dénonciations. Toutefois, les dénonciations ne sont pas synonymes de guérison. Il faut s’assurer d’accompagner les familles dans le deuil et notamment rétablir les liens de confiance brisés entre les corps de police et les communautés autochtones.
D’autant plus, a rappelé Michèle Audette à Michel C. Auger, que la commission d’enquête nationale n’a pu examiner qu’un nombre réduit de cas de disparitions. « Avec le temps qu’on a eu, nous avons examiné seulement une dizaine de témoignages. Qu’est-ce qu’on fait des autres ? Ces femmes et ces filles qui témoignent méritent d’être écoutées. »
Selon Mme Audette, le rapport final de l’ENFFADA n’apportera pas tous les éléments de réponses. Il s’inscrit plutôt dans une série d’actions concrètes que le Canada doit prendre pour enrayer la violence faite aux femmes et filles autochtones. En espérant que ce rapport ne soit pas tabletté comme tant d’autres avant lui.