Depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés, le débat social s’effrite au profit d’une judiciarisation des litiges opposant le particulier à l’État. Bien que l’État protège déjà une grande sphère d’autonomie individuelle, il semble que l’État doive en faire en plus.
Lors des manifestations étudiantes de 2012, il était évident qu’il y avait un ras-le-bol ambiant envers le gouvernement Charest. Loin d’être le seul enjeu ayant mené à sa chute, le vaste mouvement social qui s’est organisé a su faire tomber un gouvernement aux élections pour faire élire la première femme au poste de premier ministre, Pauline Marois.
Le contexte social était alors à la contestation des hausses des frais de scolarité des étudiants universitaires. On militait d’abord contre la hausse, mais aussi pour la gratuité scolaire. On invoque le droit à l’éducation, dans une interprétation où ce droit implique une gratuité.
Le milieu universitaire, partenaire de longue date d’une telle proposition, était bel et bien aux côtés des étudiants lors des manifestations étudiantes en 2012. Il semble en effet y avoir une tendance, du moins au sein du monde libre, à la réduction des frais afférents à l’éducation et à la formation des générations étudiantes. On soutient que l’éducation est le meilleur moyen d’émancipation, tant individuelle que sociétale.
Il convient donc de se questionner sur le financement de l’Éducation. D’un côté, certains valorisent une participation pleine et entière de la part de l’État. De l’autre, on maintient que les frais demeurent négligeables vis-à-vis de nos voisins, que ce soient les autres provinces canadiennes ou bien le milieu universitaire américain.
Le véritable enjeu demeure la philanthropie. Alors que certaines universités possèdent des fonds considérables permettant le réinvestissement au sein des infrastructures existantes, dans la qualité du corps professoral ou bien dans les étudiants eux-mêmes, il semble que la grande majorité, si ce n’est l’entièreté des universités francophones font état de l’enfant pauvre qu’elles sont.
Avant de tirer sa révérence, le recteur Brière a souligné l’importante levée de fonds qui s’est organisée à l’Université Laval l’an dernier. L’objectif initial de 350 millions a été surpassé, contre toute attente, pour atteindre un résultat historique, soit celui de près de 530 millions. C’est signe d’une mobilisation sans précédent auprès de la communauté pour le financement de l’institution.
Le recteur a par ailleurs rappelé que cette somme, s’ajoutant à la levée de fonds de l’Université de Montréal de 580 millions, témoigne d’un changement radical de culture dans la société québécoise.
Malgré cette constatation au sein de la société civile, il semble cependant être tout autre au sein des Facultés. En effet, en mars dernier on apprenait en coup d’éclat qu’une majorité de professeurs de la Faculté de droit se sont opposés à la création d’une chaire de recherche au nom de l’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney.
Ce dernier a récemment participé à un effort prométhéen pour St. Francis Xavier, une école néo-écossaise de 4500 étudiants. Il a amassé plus de 100 millions pour l’institution, en plus d’une somme de 20 millions exclusivement consacrée à des bourses pour les étudiants autochtones.
Le conseil des professeurs a cependant refusé un tel projet, qui aurait vraisemblablement favorisé le développement d’une expertise en droit international et transatlantique. C’est ce genre de grands projets qui permettent le développement d’une relation d’amitié entre des villes comme Québec et Bordeaux.
Bien que le vote ait été serré selon certains professeurs, il semble que la démarche était vouée à l’échec dès le départ : le projet était si méconnu que même le syndicat des professeurs en ignorait l’existence. C’est l’art de rater une occasion en or.
La Ville de Québec vit depuis les vingt dernières années un rayonnement à l’international inespéré. Pourtant les professeurs de la Faculté de droit préfèrent refuser un projet qui aurait favorisé le développement des étudiants et qui aurait vraisemblablement ouvert les horizons d’une faculté reconnue pour son isolationnisme.
C’est la dichotomie qui représente le milieu universitaire actuel. Autant on prêche pour une éducation des plus accessibles, où l’on réclame le plus de moyens, mais on se permet de cracher à la première occasion sur de l’aide plus que nécessaire au maintien d’une vie institutionnelle riche et active.
Certains professeurs vont même jusqu’à avouer qu’une jalousie maladive a fait pencher le vote en défaveur du projet. C’est le concept du professeur millionnaire qui en aurait fait voter contre le centre de recherche. Les professeurs sont de plus en plus appelés à se prononcer sur la création de chaires financées par le privé dans le contexte du sous-financement des universités. Et on se permet de refuser pour ses propres considérations personnelles, plutôt que le développement des étudiants.
On a tenté tant bien que mal de soulever les scandales politiques de Brian Mulroney pour justifier le choix. Ce n’est un secret pour personne que la faculté n’a aucun professeur ouvertement fédéraliste. Après tout, si le fédéralisme est autant étudié à l’Université Laval, c’est bien pour s’y opposer.
C’est donc plus qu’une simple considération morale que d’avoir le nom d’un ancien premier ministre canadien pour un centre de recherche, c’est aussi par considération politique, bien que personne ne veuille l’admettre.
Où est la prise en compte des intérêts des étudiants dans cette décision ? Le vote en aurait été assurément différent si c’était les étudiants qui avaient eu à se prononcer.
La Faculté a bel et bien fermé la porte à toute forme d’association avec M. Mulroney. La rectrice D’Amours a cependant été en mesure de sauver les meubles en assurant vouloir mettre en place un projet d’envergure pour souligner le caractère exceptionnel de la carrière de cet ancien premier ministre.
Elle a par ailleurs affirmé que M. Mulroney est une source de fierté collective pour la communauté universitaire, tout en reconnaissant son apport considérable à l’Université au fil des dernières années.
Bien que la décision du corps professoral soit « consultative » et que le Comité exécutif de l’Université ait condamné une telle décision, on demeure au point de départ. La décision n’a pas été désavouée et elle ne le sera pas.
Ce qui est triste en ce bien bas monde, c’est l’imputabilité inexistante de telles décisions. Les étudiants n’ont aucun mot à dire sur une telle prise de position qui pourtant les concerne au plus haut point.
Les grands oubliés de cette décision, ce sont les étudiants et seuls les étudiants. La rectrice devrait s’assurer qu’une telle situation ne se reproduise plus. Vivement un changement de mentalité au sein des universitaires de l’Université Laval.