« Les policiers n’ont pas agi dans les règles et ont commis des erreurs. Cela a nui à l’enquête, certes, mais ce genre de personne ne devrait absolument pas avoir le droit au respect de leur vie privée. La Charte canadienne des droits et libertés ne devrait tout simplement pas s’appliquer à ces criminels ».
Si le peuple québécois était juge, tel est le verdict qu’il aurait rendu le 12 octobre dernier à la place du juge Lacoursière dans l’affaire R. c. Bettez. À en croire la déferlante vague populaire qui s’est abattue sur les médias sociaux, le Québec, fourche à la main, semble vouloir que justice soit rendue ; il semble vouloir que Jonathan Bettez « paie » pour le meurtre qu’il aurait commis.
Or, avant de vouloir l’envoyer au bûcher coûte que coûte, avant de vouloir le lyncher sur la place publique, il me semble qu’une réflexion s’impose. En effet, il m’apparait souvent qu’à trop vouloir condamner un individu, on met à mal la Charte canadienne des droits et libertés, qui, contrairement à ce que souhaiterait le peuple québécois, protège aussi bien les criminels que les autres membres de notre société.
Afin de vous mettre en contexte, un bref rappel des faits s’impose : le 31 juillet 2007, la jeune Cédrika Provencher est portée disparue. Débute alors une enquête policière où Jonathan Bettez est rapidement considéré comme étant le principal suspect. Désireux de le coincer à tout prix, les policiers se sont adonnés à une série comportements tous plus graves les uns que les autres, tout en étant motivés que par de simples intuitions. De l’obtention de mandats généraux sans motifs valables à des demandes sans autorisation préalable auprès de Facebook en passant par des déclarations mensongères faites dans le but d’obtenir les autorisations judiciaires émises, les policiers ont bafoué complètement les droits de l’accusé, notamment celui que lui garantit l’article 8 de la Charte canadienne, soit le droit au respect de sa vie privée.
De plus, une autre précision se doit d’être faite : il ne s’agissait pas là d’accusations de meurtre, mais plutôt de chefs de possession et de distribution de pornographie juvénile. Ces accusations, basées principalement sur un schème créé de toute pièce par les policiers, n’ont été déposées qu’à la suite d’une partie de pêche à la preuve. En effet, ceux-ci n’avaient aucun motif valable leur permettant de croire que l’accusé avait commis une telle infraction. Ce n’est que parce qu’il était le principal suspect dans l’affaire de la disparition de Cédrika Provencher, une fillette de neuf ans, que les policiers ont cru que M. Bettez était du type susceptible de se livrer à des pratiques informatiques reliées à la pornographie juvénile. À mon avis, ce raccourci intellectuel ne tient pas la route. Il me paraîtrait tout simplement odieux de récompenser ce genre de comportement en admettant des éléments de preuve ainsi obtenus.
En dépit du fait qu’il s’agisse de crimes qui répugnent à notre société, la preuve dans l’affaire Bettez a été exclue à bon droit en application du paragraphe 24 (2) de la Charte, paragraphe qui permet d’octroyer un remède lorsqu’il y a eu violation d’un droit fondamental reconnu à l’accusé.
En droit criminel, le respect de ces droits est d’autant plus crucial. Les accusés se doivent d’être traités de façon irréprochable par les policiers s’ils veulent pouvoir obtenir les condamnations espérées. Malgré le fait qu’il puisse être facile de critiquer vivement notre système de justice, il faut assurément garder en tête que l’existence de remparts contre l’ingérence de l’État et la conduite dévastatrice des policiers garantit au plus horrible des criminels les mêmes droits qui sont reconnus au citoyen le plus honnête.