Le 1er octobre dernier, l’Alberta est devenue la première province canadienne à hausser son salaire minimum à 15 $ de l’heure. Avec une élection majoritaire de la CAQ le même jour, le Québec semble, avec son maigre 12 $ de l’heure, bien loin derrière.
En effet, il semblerait plus clair que jamais être impossible de vivre décemment avec un travail à temps plein moyennant 12 $ de l’heure, le salaire viable moyen au Québec se situant plutôt autour de 15,10 $ de l’heure et allant même jusqu’à 19,58 $ de l’heure dans certaines régions. Devant ce malheureux phénomène de travailleurs pauvres, pourquoi, donc, y a-t-il encore une fervente opposition à l’augmentation du salaire minimum au Québec ?
Les partisans d’un plus grand laissez-faire économique nous diront qu’il s’agit d’une simple question d’offre et de demande. Si les entreprises doivent payer leurs employés plus cher, l’argent qui leur est payé en surplus doit provenir de quelque part. Ergo, les entreprises, notamment les PME, qui opèrent déjà avec une faible marge bénéficiaire, ont moins d’argent dans leurs poches, ce qui conduirait à hausse dans la fermeture des entreprises, ou du moins en une coupure importante de postes. Bon. En réalité, c’est un peu moins noir ou blanc.
Tout d’abord, il faut tenir compte du fait que le salaire moyen dans nos PME est de 19 $ de l’heure, soit bien au-dessus du salaire minimum actuel et envisagé, de sorte que celles-ci soient plus ou moins affectées par l’enjeu en cause. D’ailleurs, les hausses du salaire minimum dans les dernières années n’ont pas été associées à un plus grand taux de fermeture des PME, et ce, même lorsqu’elles furent importantes. Ce taux est même à la baisse depuis plusieurs années. Un tel résultat peut être expliqué par le fait qu’au final, toute augmentation dans la fermeture des entreprises qui pourrait découler d’une hausse du salaire minimum est compensée par un nombre égal d’ouvertures d’entreprises.
Des études suggèrent d’ailleurs qu’une hausse des salaires aurait un effet bénéfique sur le rendement des entreprises, en faisant diminuer le taux de roulement des employés et en augmentant leur productivité. Ainsi, tenant compte de la réduction des frais de formation et d’embauche et des gains en efficacité causés par une telle hausse, les charges additionnelles que les employeurs auraient à verser à titre de salaire risquent d’être diluées.
De plus, un plus grand pouvoir d’achat pour les bas salariés se traduit naturellement dans une plus grande consommation dans les commerces locaux, stimulant ainsi l’activité économique de la province. Ce phénomène est particulièrement vrai chez les plus pauvres, qui ont une propension marginale à consommer élevée lorsque leurs revenus se multiplient, contrairement aux plus fortunés, qui auront davantage tendance à mettre leur argent de côté.
Mais les travailleurs à salaire minimum sont-ils réellement pauvres ? Oui. Contrairement aux prétentions de certains, les personnes étant rémunérées au salaire minimum ne sont pas majoritairement des étudiants qui vivent chez leurs parents ou qui reçoivent déjà des prêts et bourses. En fait, 59 % d’entre eux ont plus de 25 ans, 20 % d’entre eux ont des enfants à charge et la majorité est des femmes.
D’accord. Mais si une hausse du salaire minimum augmente la consommation, la croissance du pouvoir d’achat des bas salariés ne serait-elle pas annulée par une augmentation des prix ? Non. Il est estimé qu’une hausse du salaire minimum de 1 % entrainerait une hausse approximative moyenne de 0,074 % sur les biens vendus. En supposant une inflation annuelle provinciale de 2 %, une hausse de 25 % du salaire minimum causerait donc une augmentation des prix d’environ 1,85 %, ce qui résulterait en une augmentation du pouvoir d’achat réel de 21,15 % pour les personnes touchées.
Pour ce qui est du risque d’une perte d’offres d’emplois engendrée par une hausse du salaire minimum, cette crainte est légitime. En effet, puisqu’un salaire minimum à 15 $ équivaudrait à environ 50 % à 60 % du salaire moyen, de 6 000 à 20 000 emplois projetés pourraient être à risque advenant l’implantation d’une telle mesure. Toutefois, ce chiffre doit être considéré dans son contexte, c’est-à-dire dans l’optique d’une pénurie de main-d’œuvre et d’un nombre de personnes salariées qui s’élève à 3,5 millions. Notons d’ailleurs que les pertes d’emplois envisagées concernent surtout les jeunes sans diplôme et des femmes avec un diplôme d’études secondaires (DES) et que des mesures de protection peuvent être implantées à cet égard.
Si vous n’êtes toujours pas convaincus, il existe bien sûr d’autres options à partir desquelles procéder. On peut, par exemple, se tourner vers une augmentation des montants alloués à titre de prestations sociales ou sur une plus grande couverture de la RAMQ, comme l’assurance dentaire. Mais une chose demeure certaine, la pauvreté est une réalité palpable au Québec. Il faut se demander s’il est légitime en 2018, pour une entreprise de baser son plan d’affaires sur la précarité de ses employés. Ne serait-ce pas à l’employeur d’assumer ses coûts de travail, plutôt qu’à l’État, et donc à la collectivité ? Peut-être faudrait-il, en priorité, garantir un salaire viable à nos citoyens ?
[1] Mathieu DUFOUR et Raphaël LANGEVIN, « Quels seraient les effets réels d’une hausse marquée du salaire minimum ? », IRIS, octobre 2016.