D’un côté, il y a les jeux de perspectives, les photos loufoques qui divertissent. De l’autre côté de ma mémoire, il y a une rencontre enrichissante. Au final, ce dont je me rappelle le plus à la suite de ma visite dans les Salinas Grandes des régions de Jujuy et Salta du nord de l’Argentine en mai dernier, c’est la conversation que j’ai eue avec mon guide de la communauté indigène Kolla.
À cette occasion, mon guide m’a informé de la problématique environnementale occasionnée par l’exploitation du lithium dans les déserts de sel. Impuissante, j’écoutais mon guide m’expliquer le rôle des touristes qui, selon lui, résidait dans la propagation de l’état réel de cette situation. Alors, j’ai choisi de vous exposer comment se manifeste le problème d’exploitation du lithium par cet article un peu banal plutôt que de vivre cette culpabilité mal placée et assoupir, de manière bien futile, ce sentiment d’impuissance que j’ai.
Pour la revue américaine Forbes, le commerce du lithium qui se déroule en Argentine, au Chili et en Bolivie, c’est l’« Arabie Saoudite du lithium ». Plus de 85 % du lithium mondial se concentre dans ces trois pays. Le lithium est le métal utilisé pour la fabrication des batteries de nos appareils technologiques comme nos téléphones cellulaires, par exemple. En soi, l’utilisation du lithium est plus propre que l’utilisation d’autres hydrocarbures ; c’est plutôt la quantité démesurée d’eau nécessaire à son extraction qui cause des ravages. Dans une région aussi sèche que celle de Jujuy et Salta, il s’agit d’une réelle bête noire. Il semblerait que d’ici 8 à 10 ans, l’industrie du lithium pourrait s’accroître davantage en raison du développement important des batteries électriques dans l’industrie de l’automobile, pour ne nommer qu’un exemple. Ainsi, la question se pose : faut-il diminuer les gaz à effets de serre et le réchauffement climatique ? Évidemment que oui. Mais à quel prix ?
À cette heure, il y a neuf entreprises minières transnationales de lithium qui exploitent les régions de Jujuy et de Salta. Parmi les quarante communautés indigènes qui y vivent, seulement sept ont pu exprimer leur consentement pour cette exploitation. Pourtant, selon l’article 6 de la Constitution nationale d’Argentine, les communautés auraient dû être consultées. Or, en 2010, les entreprises minières ont interpellé le gouvernement argentin en lui demandant une autorisation urgente pour leur permettre de commencer leurs activités. L’argument économique étant plus alléchant que celui de maintenir de bonnes relations avec les communautés indigènes de ces régions, le gouvernement argentin n’a pas tardé à émettre le Décret Nº 3860/10. En déclarant l’exploration, l’exploitation et l’industrialisation des ressources des sept mines de sel un objet d’intérêt public, le décret a permis aux entreprises d’entamer leurs projets en outrepassant leur devoir de consultation des communautés indigènes. Paradoxalement, le décret mentionnait comme principe fondamental l’intégration des communautés locales pour un développement social et économique équilibré, tant en matière de création d’emplois que de gestion durable de l’environnement.
En réalité, l’exploitation du lithium viole plus d’un droit fondamental des communautés indigènes. Le droit de territoire, parce qu’ils ne peuvent pas choisir du sort réservé à leur propre terre ; le droit à un niveau de vie adéquat, parce que l’utilisation d’eau nécessaire pour l’exploitation du lithium leur enlève l’accès à cette ressource primaire et nécessaire à leur survie ; le droit à l’eau, nécessairement lié au danger de salinisation de l’eau douce dans ces régions désertiques : ce sont tous des droits gravement affectés par cette industrie. Au-delà de ces droits brimés, il y a les droits patrimoniaux et identitaires des communautés indigènes qui sont également gravement bafoués par cette exploitation. Lamentablement, les entreprises minières qui prennent possession de ce territoire détruisent toute harmonie qui existe dans la cohabitation de ces communautés avec leur environnement. Les peuples indigènes des Salinas Grandes y ont développé tout leur mode de vie : les salières sont au cœur de leur histoire et constituent le lieu de travail de la grande majorité d’entre eux. Ainsi, les Salinas revêtent un caractère spirituel unique sur lequel les entreprises minières s’acharnent.
Pourrait-on justifier cette attaque faite aux communautés autochtones par le fait que le lithium pourrait être une alternative intéressante aux hydrocarbures qui occasionnent tant de dommages sur notre terre ? Personnellement, j’en doute. Je crois que notre intelligence peut nous amener une alternative à cette alternative : une « réalternative », si l’on veut. Est-ce vraiment notre intelligence qui sera salvatrice ? Quizás. Mais jamais si l’on n’apprend pas à faire usage du savoir et du respect de ces communautés autochtones en l’égard de la nature, car l’un sans l’autre, je doute que l’on arrive un jour à une vraie et bonne « réalternative ».