HISTOIRES D'ÉCHANGES

Sophie D'Entremont

De retour à la Faculté de droit de l’Université Laval pour y compléter la dernière année de mon baccalauréat en droit, après quelques mois d’absence, je reviens grandie d’une expérience sans mot. J’ai quitté le Québec en février dernier, la neige encombrait ses trottoirs, il faisait gris et je disais mes derniers « au revoir » pour m’envoler vers le Luxembourg et y compléter une session d’études.  Dès lors, je savais trop bien que ce serait une femme toute différente qui retrouverait ces mêmes rues, un peu moins enneigées, un peu plus ensoleillées pour la rentrée en septembre.

Dès mon plus jeune âge, je rêvais du monde, je rêvais de partir. Cependant, quand arrive enfin le moment, celui-là où tu essuies du revers de la main les quelques larmes sur les joues de ta mère à l’aéroport et que tu te retournes seule vers ce monde, il paraît soudainement si grand et si vaste.  Un drôle de sentiment s’empare de toi, comme un vertige incoercible, car partir en échange, c’est de se lancer dans le vide, c’est partir vers l’inconnu, c’est d’avoir la trouille et l’appréhension qui te pincent le cœur.

Puis arrive le moment où tu découvres ton nouveau chez-toi, ton nouvel appartement, tes nouveaux amis, ceux et celles qui ne parlent pas ta langue maternelle et qui ne partagent ni tes habitudes ni ta façon de penser. La vie prend un tout autre rythme et, sous un pas plus rapide, tu te sens curieusement revivre à nouveau. Le mal du pays qui te guettait s’avère finalement être la prémisse de l’expérience la plus incroyable et la plus enrichissante d’une vie.

L’Europe se distingue sans contredit de l’Amérique alors que ce petit territoire regroupe un nombre incroyablement plus élevé de pays aux cultures toutes plus différentes et riches les unes que les autres et qui imprègnent de façon peu singulière mon pays d’accueil.  En effet, le multiculturalisme qui caractérise le Luxembourg a su me surprendre à coup sûr. Alors que je défilais dans les rues de sa capitale, qui compte parmi les villes les plus fortunées du monde, je m’amusais à observer les passants, à tenter de deviner les dialectes les plus étranges et les origines les moins familières. Faire son épicerie n’aura jamais été aussi intéressant, alors que ses citoyens apprennent au minimum quatre langues dès leur plus jeune âge et qu’il leur importe peu d’acheter un pot de confiture en allemand, en français, en anglais ou encore en luxembourgeois.

La Faculté de droit, quant à elle, où le droit comparé est le mot d’ordre, se distingue par son corps professoral de qualité et témoigne, encore une fois, de la richesse de ce petit pays européen.  Je la recommanderais à quiconque éprouvant le moindre intérêt pour le droit des affaires, car il va sans dire que les cours dans le domaine n’y manquent pas.  La mentalité qui diffère largement de la nôtre, de par son libéralisme marquant, donne le ton à l’enseignement qui y est promulgué et rend la chose d’autant plus intéressante. L’expérience ne saurait être complète sans une visite toute spéciale à la la Cour de Justice de l'Union Européenne, où son étonnante architecture et ses deux impressionnantes tours dorées s’élèvent fièrement au centre du quartier financier. Je me suis sans contredit sentie des plus choyés alors que j’assistais à une conférence du Juge Francois Biltgen, qui compte parmi les 28 juges siégeant à la plus haute instance en matière de droit européen.

Il serait toutefois naïf de croire que l’on peut raconter des mois si intenses en quelques lignes seulement, que l’on puisse faire un portrait qui rende justice à une telle expérience, avec toutes ses nuances et ses subtilités.  

Des romans ne pourraient venir à bout de tous ses moments inoubliables, toutes ses réflexions, toutes ses discussions, toutes ses rencontres extraordinaires, tous ses nombreux voyages, tous ses endroits dont aucune photo ne pourrait proprement en refléter la beauté, mais qui restent à jamais dans une mémoire, qui à son tour s'effile et s’embrouille.

Chose certaine, c’est lorsqu’on s’immerge dans un nouvel endroit que l’on finit par connaître chacun de ses aspects, ceux qui nous auraient normalement échappés dans un voyage plus touristique. Et c’est là toute la beauté de la chose. Car notre vision du monde est trop souvent infondée et nos opinions sont perpétuellement biaisées par les médias, par les réseaux sociaux, par les gens qui nous entourent. Il m’est apparu, plus que jamais, que l’on se devait de faire nos propres découvertes. 

J’ai découvert que plus on visite le monde, plus il nous apparaît à la fois vaste et intriguant, à la fois inspirant et déboussolant. J’ai découvert que la richesse d’un pays ne se mesure ni par sa taille ni par ses infrastructures, mais par sa culture, son histoire et ses gens. J’ai découvert que l’argent n’était pas à lui seul générateur de grandes choses et que la nature peut nous impressionner tout autant que la plus impressionnante des architectures. J’ai découvert que l’on peut se laisser éblouir par les merveilles du monde, mais également des petits riens, de ces choses éphémères qui seraient normalement passées inaperçues, mais qui, ô combien nous fascinent lorsqu’on y porte attention. J’ai découvert ce que signifiait de prendre réellement et impunément le temps de profiter de la vie et de simplement arrêter de compter les secondes qui s’écoulent malgré nous. J’ai découvert que tout est relatif et qu’un court instant peut nous faire grandir et ressentir, comme si on faisait un bond dans l’espace-temps, alors que plus souvent qu’autrement, on vieillit ride à ride, jour après jour, lentement au fil des années. J’ai découvert que les voyages forment assurément la jeunesse et que les mésaventures auxquelles personne n’échappe font de bonnes histoires à raconter au retour. J’ai découvert que les liens que l’on tisse avec les gens nous tiennent à tout jamais et qu’il est parfois déchirant d’avoir ces ficelles qui nous rattachent aux quatre coins du monde. J’ai découvert que chacun devrait prendre du temps pour soi, même si cela signifie parfois d’être seul, et que l’on sous-estime le bien-être qu’apporte un lever du soleil, pieds nus dans le sable avec le seul bruit des vagues. J’ai découvert qu’au-delà de la Tour Eiffel et de la vue qu’on y a tout en haut, la beauté de voyager et d’étudier à l’étranger réside dans ces découvertes que l’on fait, sur le monde, sur la vie et sur soi-même.