Les femmes dans la cuisine, les hommes en prison
Je vous vois déjà lire le titre de mon article et vous dire : « Ah non ! Pas encore une féministe enragée qui va nous parler de sa conception du genre ! ». Je vais donc clarifier certaines choses afin que vous puissiez poursuivre votre lecture sans crainte. D’abord, je ne vais pas vous étayer ma propre conception du genre dans cet article. Je vais davantage m’attarder à la construction du genre en société et à son impact sur notre système de droit pénal. Puis, je ne dirais pas que je suis une féministe « enragée ». Je me décrirais plutôt comme étant engagée. Je préfère ce qualificatif, beaucoup moins péjoratif que le premier. Bien, maintenant que nous sommes tous sur la même longueur d’ondes, nous pouvons entrer dans le vif du sujet.
Puisque les chiffres ont fait leur preuve et parce qu’ils sont parfois plus convaincants que les mots, voici quelques statistiques surprenantes : il est établi que les hommes commettent jusqu’à cinq fois plus d’infractions que les femmes, et ce, pour toutes les catégories d’infractions confondues. Ils représentent également près de 97% de la population carcérale[1]. En 2011, sur 413 800 adultes majeurs inculpés, 79% étaient des hommes[2]. Et il ne s’agit pas là des seules statistiques qui puissent exister à ce sujet. La liste est encore très longue et tout aussi surprenante. La question que je me suis alors posée est la suivante : pourquoi les hommes sont-ils aussi surreprésentés dans le milieu carcéral ?
Historiquement parlant, les hommes ont souvent (même presque toujours) eu le beau rôle. Ils avaient tous les droits alors que la femme, à leurs côtés était perçue comme un être inférieur, incapable juridiquement, politiquement et professionnellement. Elles ont dû se battre afin que ces droits leur soient reconnus et force est d’admettre que ce n’est pas chose faite dans tous les pays du monde – puisque les femmes viennent tout juste d’obtenir le droit de conduire en Arabie Saoudite. Ainsi comment se fait-il que les hommes soient ceux qui se retrouvent le plus souvent derrière les barreaux ?
Selon les criminalistes, la construction du genre en société contribue en partie à l’une des raisons pour lesquelles les hommes représentent une proportion écrasante de la population carcérale. En effet, celle-ci est basée sur un système binaire et a tendance à attribuer plusieurs caractéristiques propres à chaque genre. Par exemple, en raison de cette dernière, on perçoit d’emblée la femme comme étant pacifique, calme, réservée. On attendra d’elle également qu’elle soit douce, compatissante et qu’elle oriente ses choix en fonction de sa famille. D’un autre côté, on percevra l’homme comme un viril guerrier. On s’attendra à ce qu’il soit fort, à ce qu’il défende ses idéaux, à ce qu’il prenne de la place, à ce qu’il soit sportif et nous serons même portés à l’encourager à adopter des comportements agressifs. Ce discours, bien qu’il soit exagéré un tant soit peu, demeure vrai dans notre société. Nous traitons indéniablement les hommes et les femmes de manière différente. Ainsi, le système de droit pénal aura ce même réflexe, qui, toutefois, se traduit comme étant le fait de percevoir d’emblée les femmes comme étant des victimes et les hommes comme étant des agresseurs.
D’ailleurs, pour prouver ce point, les tribunaux ont généralement tendance à octroyer des peines moins lourdes aux femmes pour une infraction similaire à celle perpétrée par un accusé de sexe masculin. Elles auront des sentences plus courtes et seront même excusées plus facilement. La raison pour laquelle les femmes ne sont pas nombreuses à être incarcérées ne réside donc pas dans le fait qu’elles ne commettent pas d’infractions. Il est faux, en effet, d’affirmer une chose pareille, puisque, le taux d’inculpation des femmes est en hausse depuis la dernière décennie[3]. Cette hausse s’explique toutefois par le fait que les criminologues, autrefois, ignoraient les femmes qui commettaient des délits. Il était pratiquement inconcevable que la femme dite « normale » puisse perpétrer un crime. Aujourd’hui, avec les pressions féministes, la société se penche davantage sur la question, cesse de blâmer les conduites des criminelles sur des phénomènes pathologiques ou physiologiques comme la dépression post-partum, la ménopause et les « sautes d’humeur » que l’on associe parfois avec les menstruations. Freda Adler, une criminologue et professeure d’université émérite a d’ailleurs publié dans un livre intitulé : « Sisters in Crime : The Rise of the New Female Criminal » que si les femmes souhaitent être égales aux hommes, et ce, dans toutes les sphères de leurs vies, elles devraient également l’être dans la criminalité.
Un autre point pertinent à analyser afin d’expliquer la surreprésentation de la gent masculine dans les pénitenciers est le nombre de dénonciations ridicule de crimes contre la personne perpétrés par des femmes sur des hommes. En effet, je ne crois pas vous apprendre que très peu sont les hommes qui dénoncent de tels crimes. 16% des victimes d’infractions sexuelles sont de sexe masculin[4]. Nous savons déjà qu’un nombre ridicule d’agressions sexuelles sont rapportées aux autorités, le taux de dénonciation étant d’environ 5%[5]. De plus, non seulement les hommes ne dénoncent pas de telles infractions, mais lorsqu’elles le sont, rares sont les cas qui sont repris et surtout considérés par les autorités.
Bref, quel que soit le type d’infraction, les hommes sont invariablement plus susceptibles que les femmes d’être inculpés. Ce phénomène est dû en partie à la construction du genre en société. En effet, cette manière que nous avons de différencier le genre a des influences considérables sur l’ensemble de la société et donc sur notre système de droit pénal, puisque ce dernier est dirigé par des gens qui la compose. Or, il ne s’agit pas là de la seule problématique qui existe en milieu carcéral : la pauvreté, la surreprésentation des minorités visibles et le phénomène des portes tournantes nous permettent également de douter, par moment, que Thémis, cette déesse de la justice, a réellement les yeux bandés et que tous, nous sommes égaux devant la loi.
[1] Commission du droit du Canada, Qu’est-ce qu’un crime? Des défis et des choix, Ottawa, 2003, p. 20, en ligne http://publications.gc.ca/collections/Collection/JL2-21-2003F.pdf.
[2] S. BRENNAN. 2011. Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada, produit no 85-002-X au catalogue de Statistique Canada, Ottawa, Ontario, http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2012001/article/11692-fra.htm#a15.
[3]. Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada, préc. note 2.
[4] Statistique tirée a contrario du site web http://www.agressionssexuelles.gouv.qc.ca/fr/mieux-comprendre/statistiques.php.
[5] Id., selon l’Enquête sociale générale sur la victimisation de 2014 menée par Statistiques Canada.