Le réseau étudiant d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) présentait, le 25 mars 2017 à l’Université de Montréal, le 2ème colloque d’ASFC. Cette année le sujet concernait les droits des femmes au 21ème siècle. Un des thèmes abordés lors de cette journée fort intéressante était l’accès à la justice pour les victimes d’agression sexuelle. Le présent article fait un retour en particulier sur les conférences de M. Moussa Haba (candidat au doctorat à l’Université Laval) et Mme Sarah Koenig (candidate au doctorat à l’Université de Sherbrooke) qui portaient sur cette question. En guise de conclusion, un témoignage rapporté par le directeur général d’ASFC, Me Pascal Paradis, lors du colloque vous sera exposé.
1. LA RÉPRESSION DES CRIMES SEXUELS À LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE (CPI)
En première partie, M. Haba, a fait un retour rapide sur l’origine juridique de la répression des crimes sexuels au sein de la CPI. Par la suite, il a fait un exposé des obstacles qui empêchent la
condamnation des auteurs de ces crimes.
1.1 L’origine juridique au sein de la CPI
Le régime concernant l’incrimination de crimes sexuels est un régime connu sous le terme de sexospécifique, c’est-à-dire qui se rapporte aux rôles, comportements, aux activités et aux attributs sociaux qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes1. En l’espèce, le Statut de Rome (traité international qui a créé la CPI, ci-après le Statut) dispose de plusieurs articles qui modulent la sexospécificité aux problèmes concernant les crimes sexuels envers les femmes. Notamment, le Statut prévoit des articles qui concernent la grossesse forcée, l’agression sexuelle, l’exploitation ou l’esclavage sexuel. De même, des dispositions spécifiques ont été prévues pour les cas de crime de guerre ou crime de génocide. Ces dispositions ne sont pas exhaustives, une clause résiduelle a été mise en place pour tout crime semblable non mentionné dans les dispositions antérieures. De la même façon, le Statut met à la disposition de la CPI des mesures procédurales afin d’aménager les témoignages, les contre-interrogatoire ou d’ordonner le huis clos.
1.2 Les obstacles qui empêchent la condamnation
Malgré la volonté effective du bureau du procureur et du régime attrayant mis en place par le
Statut, le fait est que sur toutes les actions devant la CPI qui concernaient des crimes sexuels, seulement une a été menée à terme. M. Haba identifie deux obstacles majeurs qui empêchent la condamnation. D’une part, il mentionne la difficulté, parfois insurmontable, d’établir le crime sexuel – donc la preuve – et d’autre part, il identifie l’obstacle de l’imputation des accusés.
1.2.1 L’établissement du crime / de la preuve
Le problème ne consiste souvent pas à savoir si oui ou non il y a eu une agression, en fait 59% des cas qui ne sont pas allés en procès devant la CPI étaient des agressions confirmées (2014). D’une part, on assiste à une banalisation des violences sexuelles au niveau des enquêtes, mais
également des jugements. En d’autres mots, on préfère incriminer l’auteur pour des crimes de guerre, de génocide ou de destruction d’objets nationaux en omettant toutefois de mentionner les crimes sexuels. À ce propos, des raisons socioculturelles expliquent la problématique puisque dans plusieurs communautés les victimes d’agressions sexuelles, qui sont avant tout des citoyens et citoyennes à part entière, se font exclure et font l’objet de préjugés très lourds. Or, il est important, non seulement d’incriminer l’auteur, mais de l’accuser sur les charges sexuelles portées contre lui, puisque cela a un effet bénéfique et symbolique sur les victimes et la vision de la société.
1.2.2 L’imputation des accusés
D’autre part, devant la CPI, très souvent, la personne poursuivie n’a pas commis elle-même l’acte reproché. En effet, c’est souvent ses subordonnés, notamment des soldats, qui ont commis les crimes sexuels. La CPI a adopté une nouvelle approche qui permet de poursuivre des gens de rang inférieur, mais ce n’est pas très effectif. Donc, comment faire pour que le dirigeant soit accusé? La CPI exige une sorte de dol, c’est-à-dire que la victime doit réussir à prouver que l’accusé avait connaissance que son acte de dirigeant mènerait à l’accomplissement de tels crimes sexuels, et ce, hors de tout doute raisonnable. Or, la preuve du mens rea est très difficile à faire puisque qu’il est laborieux d’établir que le crime sexuel faisait partie du plan. Les procureurs plaident maintenant un deuxième moyen de preuve soit le fait que le dirigeant n’ait pris aucune mesure pour remédier à l’acte. Toutefois, la tâche n’est pas plus facile puisqu’il faut quand même établir que l’accusé a eu connaissance du crime sexuel pour ensuite prouver son inaction face à celui-ci.
2. LES DROITS DE PARTICIPATION ET DE RÉPARATION OFFERTS AUX FEMMES VICTIMES DE CRIMES SEXUELS À LA CPI
D’abord, Mme Koenig mentionne que les femmes victimes de crimes sexuels n’ont pas que des droits devant la CPI, mais surtout des attentes. Afin de savoir si la CPI est efficace concernant les préoccupations de ces femmes, la conférencière répond à trois questions : Quelles sont les attentes de ces femmes? Quels sont les droits de ces femmes? Et est-ce que ces droits remplissent ces attentes?
2.1 Les attentes
Trois types d’attentes principaux sont observés selon des recherches en victimologie (étude de l’évolution et de la prévention des crimes et de la victimisation) : la reconnaissance, la revendication d’un rôle passif et le besoin de réparation. La reconnaissance concerne les besoins d’être validé et que l’auteur reconnaisse les actes. La revendication concerne l’attente d’être informé sur le processus judiciaire, la participation au sein du procès, notamment comme témoin, ainsi que le besoin d’être traité adéquatement. Finalement, la réparation s’attache à l’accompagnement, à la restitution, la réhabilitation et l’indemnisation.
2.2 Les droits
Comme mentionné, des mesures spécifiques sont prévues dans le Statut. Par exemple, celui-ci oblige le procureur à apporter une aide et protection constantes à la victime. De la même façon, le Statut prévoit que la victime peut participer à la preuve si elle le désire.
2.3 L’efficacité
Pour les victimes, les nouvelles mesures semblent plus justes et transparentes, ce qui aide à la
reconnaissance et dépasse l’esprit de vengeance. Or, les mesures de participation sont assez imprécises, ce qui amène un manque d’équité. Notamment, un représentant légal sera octroyé à un groupe de personnes, ce qui fait prôner l’intérêt général sur l’intérêt individuel de la victime. Pour la CPI, ces mesures bénéficient à la manifestation de la vérité et considèrent un peu plus la victime. Toutefois, les règles de la Cour permettent seulement aux victimes de la personne culpabilisée de participer au procès. En considérant que seulement les « grands » auteurs de crimes seront poursuivis, plusieurs victimes de plus petits poissons ne trouvent pas justice.
3. « LE DROIT COMME INSTRUMENT DE CHANGEMENT » – PASCAL PARADIS
Je me permets d’utiliser le mot de bienvenue de Me Paradis en guise de conclusion pour mon dernier article de l’année en tant que Vice-Président aux projets de recherche pour le comité exécutif d’Avocats sans frontières à l’ULaval.
Mais tout d’abord, je commencerai par une note personnelle. Mon mandat au sein du comité était notamment de promouvoir au sein de la faculté la coopération internationale. Par le biais de mes quelques articles, j’espère vous avoir dressé un petit portrait sur ce que le titre de
défenseur des droits humains peut impliquer. Ce n’est certainement pas un emploi typique, c’est une vocation, un sacrifice (certains y laissent leur vie), une passion et une foule de convictions. La conviction que par nos connaissances et notre expertise, nous pouvons être porteurs de changement. La conviction qu’un monde meilleur est à la portée de tous les êtres humains. La conviction que justice doit être rendue. La conviction que la dignité humaine passe avant tout.
Me Paradis nous a présenté le cas du médecin qui « répare » les femmes violées en République Démocratique du Congo (RDC). Ce chirurgien, Dr Denis Mukwege, mène une lutte sans
arrêt contre le viol comme arme de guerre. Le chirurgien de mutilations génitales rapporte que depuis trois ou quatre ans, ce sont des enfants et parfois des bébés, toujours de la gente féminine, aux organes génitaux mutilés qu’il reçoit dans son hôpital. Il se désole en témoignant : « Mes premiers cas en 1999 étaient des femmes adultes. Mais maintenant [2017], j’observe de plus en plus d’enfants, de bébés violés avec des périnées complètement
déchirés, où il n’y a plus ni vagin, ni rectum, ni vessie, détruits en un seul trou2 ».
M. Mukwege souligne qu’il presse depuis plus de 20 ans la communauté internationale à agir, ni l’ONU, ni la maison blanche, ni les Prix des droits de l’homme ont répondu au cri à l’aide. Le chirurgien considère que seule la justice nationale et internationale pourrait faire la lumière sur ces atrocités. Voilà notre devoir comme futurs juristes, un devoir moral et social d’utiliser le droit, notre champ d’étude, comme un instrument de changement et ainsi coopérer à l’international.